Ville de Montréal c. Astral Media Affichage, 2019 QCCA 1609
Dans une décision récente, la Cour d’appel a renversé le jugement de première instance qui a avait déclaré inconstitutionnelle la disposition du règlement d’urbanisme de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal qui interdit la construction de panneaux-réclame sur l’ensemble de son territoire et prévoit l’enlèvement des panneaux déjà construits. Cet arrêt de la Cour d’appel confirme la marge de manœuvre dont disposent les municipalités pour réglementer ce type d’affichage et préserver la qualité de leurs paysages, et ce malgré le fait que de telles mesures limitent la liberté d’expression protégée par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.
Les intimées sont des sociétés propriétaires de panneaux d’affichage commercial situés soit sur des bâtiments ou sur des structures autonomes (les panneaux-réclame), dans l’arrondissement Plateau-Mont-Royal. En 2010, le conseil d’arrondissement adopte un premier règlement (le Règlement 2010-10) par lequel il interdit l’implantation de nouveaux panneaux-réclame dans l’arrondissement. Un peu plus tard dans la même année, le conseil d’arrondissement adopte un second règlement (le Règlement 2010-14) par lequel il impose l’enlèvement des panneaux-réclame existants dans les 12 mois de son entrée en vigueur.
Il est à noter, toutefois, que la réglementation prévoit plusieurs exceptions, dont les enseignes intérieures et celles installées à l’occasion d’évènements, de fêtes ou de manifestations. Également, les enseignes visant à annoncer des produits ou services offerts dans le bâtiment où elles se trouvent ne sont pas visées.
Les propriétaires de panneaux-réclame contestent la validité des règlements adoptés par le conseil d’arrondissement en invoquant deux arguments. Premièrement, en vertu du droit municipal, ils prétendent que l’arrondissement n’a pas le pouvoir d’interdire un usage partout sur son territoire, en l’occurrence la présence de panneaux-réclame. Deuxièmement, ils invoquent le droit à la liberté d’expression protégé par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.
En première instance, le juge Marc-André Blanchard avait fait droit à l’argument de droit constitutionnel, jugeant que ces dispositions réglementaires portaient atteinte de façon injustifiée au droit à la liberté d’expression. La Ville porte le jugement en appel sous cet aspect.
Par un appel incident, les propriétaires de panneaux-réclame contestent la conclusion du juge Blanchard sur la question de droit municipal, celle voulant que l’arrondissement a le droit, en vertu de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et la Charte de la Ville de Montréal, d’adopter des dispositions prévoyant une interdiction complète des panneaux-réclame sur son territoire.
L’enjeu de droit municipal : le pouvoir de l’arrondissement d’interdire les panneaux-réclame sur l’ensemble de son territoire
Dans ses motifs majoritaires, le juge Ruel se penche premièrement sur la question de la validité des règlements attaqués selon les lois habilitantes, soit la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et la Charte de la Ville de Montréal. Il conclut que les règlements ne prévoient pas une prohibition complète des panneaux-réclame, puisqu’ils ne s’appliquent que sur une partie du territoire de la Ville de Montréal, soit l’arrondissement Plateau-Mont-Royal :
[83] Cependant, malgré que le conseil d’arrondissement, à l’article 169 de l’Annexe C de la Charte de la Ville de Montréal, bénéficie d’une délégation pour l’exercice de la compétence prévue à l’article 157, il reste que ce pouvoir de limiter les panneaux-réclames est dévolu à la Ville de Montréal, seule entité juridique en cause dans ce dossier.
[84] Comme l’écrivent les auteurs Hétu et Duplessis, « l’arrondissement ne constitue pas un palier de gouvernement local. Il s’agit, à l’instar du conseil municipal ou du comité exécutif, d’un autre organe de la municipalité dont tous les pouvoirs sont exercés au nom de la municipalité ».
[85] En outre, dans le jugement Dupuis c. Montréal (Ville de), la Cour supérieure indique que l’arrondissement joue un rôle important et possède des pouvoirs, « mais il ne devient pas pour autant une municipalité puisqu’il agit pour la ville ou en son nom ou à sa place dans certains cas ». Elle ajoute « qu’il n’y a qu’une seule ville et c’est la Ville de Montréal. Et cette ville a « un territoire », même si ce territoire est divisé en arrondissements ».
[…]
[89] Les intimés soumettent qu’interpréter les termes « partie de territoire » comme référant à un arrondissement aurait pour effet d’obliger les arrondissements à prendre en considération le contenu des règlements adoptés par les autres arrondissements afin de s’assurer que le résultat global ne constitue pas en une prohibition totale des panneaux-réclames sur l’ensemble du territoire de la Ville, ce que ne permettraient pas les dispositions législatives habilitantes.
[90] Or, l’article 85.5 de la Charte de la Ville de Montréal donne le pouvoir au conseil de la Ville de se déclarer compétent relativement à l’exercice d’une compétence que la loi attribue à tous les conseils d’arrondissements, ce qui inclut l’autorité de régir ou d’interdire des panneaux-réclames.
[91] Cette disposition permet à la Ville de remédier à la situation très hypothétique où tous les arrondissements décideraient d’interdire les panneaux-réclames sur leurs territoires, ce qui mènerait à une prohibition totale de ces panneaux sur l’ensemble du territoire de la Ville.
[92] L’article 85.5 de la Charte de la Ville de Montréal démontre que le pouvoir de régir ou d’interdire les panneaux-réclames, par partie de territoire, est tout compte fait un pouvoir municipal de la Ville dans son ensemble. La vue d’ensemble de la Ville en matière d’urbanisme, ce qui inclut l’affichage, est également mise en œuvre par l’adoption de son plan d’urbanisme. En effet, il n’y a qu’un plan d’urbanisme pour l’ensemble de la Ville.
Cette conclusion nous rappelle que les arrondissements ne sont pas des organismes administratifs à part entière, mais plutôt autant d’instances distinctes par lesquelles une seule personne morale, la Ville, exerce certains des pouvoirs qui lui sont dévolus par la loi.
L’enjeu de droit constitutionnel : la liberté d’expression
Les parties s’entendent sur le fait que les règlements contestés restreignent la liberté d’expression des annonceurs commerciaux, protégée par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. La Cour d’appel doit donc déterminer si le juge de première instance avait raison de conclure que cette atteinte ne peut être justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique, selon les critères bien connus de l’arrêt R c. Oakes (objectif urgent et réel, lien rationnel entre la mesure attentatoire et l’objectif, atteinte minimale au droit ou à la liberté protégée et proportionnalité entre les effets bénéfiques et l’atteinte au droit ou à la liberté).
L’objectif urgent et réel : le combat contre la pollution visuelle
Le juge de première instance avait conclu que la prévention de la pollution visuelle était un objectif urgent et réel.
Toutefois, lors de l’évaluation de la portée de l’atteinte, il avait semblé remettre en question l’opportunité de cet objectif, ce qui lui vaut un rappel à l’ordre de la Cour d’appel :
[116] Le juge a donc raison lorsqu’il affirme que « la prévention de la pollution visuelle représente un objectif raisonnable, réel et urgent » et qu’« il n’existe aucune raison pour remettre cette détermination en cause en l’instance ».
[117] Cependant, après en être venu à cette conclusion, le juge fait marche arrière à la dernière étape du test jurisprudentiel sur la proportionnalité et remet en doute la légitimité de l’objectif poursuivi par les dispositions réglementaires contestées.
[118] Il indique que le mal que celles-ci cherchent à enrayer est « beaucoup moins sérieux » et « beaucoup moins complexe » que, par exemple, le tabagisme, qu’il apparaît relever « d’une conception somme toute idéologique » et que les avantages recherchés relèvent « d’un parti-pris idéologique sur la méthode urbanistique à privilégier ».
[119] Ce faisant, et avec égards, le juge commet une erreur de droit.
[120] Comme l’indique la Cour suprême dans l’arrêt Frank c. Canada (Procureur général), étant donné qu’il s’agit d’une condition préalable, « l’analyse [du caractère réel et urgent de l’objectif poursuivi] s’effectue sans tenir compte de la portée de l’atteinte, du moyen retenu ou des effets de la mesure ».
[121] Ainsi, une fois l’importance de l’objectif reconnue, le juge ne pouvait indirectement l’annihiler par la suite.
[122] De plus, en affirmant que l’objectif poursuivi par les dispositions réglementaires contestées relève d’un « parti-pris idéologique sur la méthode urbanistique à privilégier » dans son analyse subséquente de la proportionnalité, le juge se trouve à usurper le rôle du législateur municipal.
Sans le dire explicitement, cet extrait rappelle selon nous que les conseils municipaux sont avant tout des organes politiques et que, dans les limites bien sûr des pouvoirs qui leur sont délégués par la loi et des règles du droit administratif, leurs choix peuvent légitimement être influencés par des considérations idéologiques.
La proportionnalité entre l’atteinte au droit à la liberté d’expression et les effets bénéfiques de la réglementation : une question de contexte
Le juge Ruel s’attaque ensuite à l’évaluation du caractère minimal de l’atteinte à la liberté d’expression et de sa proportionnalité avec l’objectif poursuivi.
Ce faisant, il tient compte de l’évolution du contexte social, et notamment de l’apparition des nouveaux moyens de communication à la disposition des annonceurs commerciaux :
[152] Les erreurs commises par le juge dans l’analyse des étapes précédentes du test de justification, soit (1) d’avoir annihilé l’objectif de prévention de la pollution visuelle après avoir conclu que celui-ci était urgent et réel, et (2) d’avoir conclu que l’atteinte au droit à la liberté d’expression était maximale, ont inévitablement vicié son analyse des effets des dispositions réglementaires contestées.
[153] Le juge a visiblement exacerbé les effets négatifs de ces dispositions tout en minimisant leurs effets bénéfiques.
[154] Il est important de reconnaître l’importance historique de l’affichage sur des panneaux-réclames, lesquels font partie du paysage de Montréal, comme moyen d’expression légitime, peu coûteux et permettant une diffusion de messages. Le juge le souligne.
[155] Si cette logique a pu exister à une certaine époque, l’utilisation de ces larges panneaux visuels ne représente maintenant que l’un d’une multitude d’autres moyens de diffusion de publicités commerciales.
[156] La limitation imposée par l’arrondissement du PMR ne vise qu’un des multiples modes d’expression commerciale. Il sera toujours possible pour les personnes morales et physiques souhaitant diffuser un message s’adressant spécialement aux résidents du PMR de le faire via les journaux locaux, des affiches apposées dans divers lieux de l’arrondissement ainsi qu’Internet et les réseaux sociaux par des campagnes géographiquement ciblées.
Le Plateau-Mont-Royal: un arrondissement unique
Finalement, la Cour tient également compte du caractère particulier de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal :
[160] Dans ce dossier, la Ville a fait la démonstration qu’en raison du caractère unique du PMR, une limitation importante des panneaux-réclames était justifiée.
[161] La preuve démontre que le PMR est un arrondissement principalement résidentiel et présentant une très haute densité de population. Depuis les années 1980, on a assisté à une transformation profonde de son caractère « qui tranche avec une période précédente, plus pauvre, plus ouvrière, plus locataire et plus industrielle ».
[162] Il s’agit maintenant d’un quartier largement reconnu pour sa richesse patrimoniale et architecturale. L’arrondissement est en grande partie piétonnier et cyclable et présente des caractéristiques paysagères, historiques et culturelles uniques.
[…]
[165] L’arrondissement du PMR s’embourgeoise depuis plusieurs années, c’est-à-dire qu’il est de plus en plus habité par des jeunes professionnels, artistes et étudiants, qui recherchent un milieu agréable et une qualité de vie.
[166] Comme indiqué précédemment, la valorisation de ces caractéristiques s’inscrit dans une mouvance de longue date à la Ville de Montréal pour le PMR, dans le but d’améliorer la qualité du paysage urbain, la qualité de l’expérience piétonne, de valoriser les paysages urbains et de requalifier certaines portions du territoire.
[…]
[170] Dans un arrondissement ou une municipalité ne présentant pas ces caractéristiques singulières, la limitation des enseignes publicitaires pourrait ne pas être justifiée.
[171] En l’espèce, cependant, les effets préjudiciables de la limitation et de l’enlèvement des panneaux-réclames sur le territoire du PMR sont proportionnés au regard de l’objectif recherché et des effets bénéfiques qui en découlent.
Bien que nous puissions nous réjouir du résultat obtenu, il reste à espérer que les municipalités qui n’ont pas le même patrimoine bâti ou qui n’ont pas connu le même embourgeoisement que le Plateau-Mont-Royal pourront également bénéficier de la bienveillance des tribunaux pour mettre en oeuvre des mesures visant à préserver ou améliorer la qualité de leurs paysages.
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