Responsabilité policière

Attentat au Métropolis : pourquoi les policiers ont-ils été condamnés?

Parisien c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 4483

Voilà maintenant plus de dix (10) ans qu’est survenu l’attentat de Richard Henry Bain au Métropolis, lequel visait la nouvelle – et première – cheffe d’État du Québec, Mme Pauline Marois. Même si le temps passe, l’évènement est encore et toujours d’actualité et on peut affirmer sans se tromper qu’il se fera une place dans nos livres d’histoire. Quant à Richard Henry Bain, après de longues procédures judiciaires et un refus par la Cour suprême d’entendre sa cause, il est toujours en prison.

Petite confession : j’étais personnellement au Métropolis le soir du 4 septembre 2012. Comme la grande majorité des gens dans la salle, je n’ai pas réellement eu conscience des évènements. J’étais uniquement incrédule de voir Mme Marois être rapidement évacuée, sans même entendre de coup de feu. Or, la lecture du jugement de la Cour supérieure Parisien c. Procureur général du Québec rendu en novembre dernier m’a permis de comprendre ce qui est arrivé derrière la scène.

Le jugement découle d’une poursuite civile déposée par quatre techniciens de scène contre le Procureur Général du Québec (PGQ) et la Ville de Montréal. Ils allèguent que la SQ et le SPVM ont fait défaut d’intervenir auprès de Richard Henry Bain en temps utile. Ils allèguent également que cette faute d’omission est la cause des troubles de stress post-traumatique (« TSPT ») et d’autres troubles psychologiques qu’ils ont subis.

Mentionnons d’entrée de jeu que les quatre techniciens de scène étaient à proximité de la porte arrière du Métropolis alors que Mme Marois prononçait son discours de victoire. C’est à cet endroit que Richard Henry Bain se présente. Celui-ci tire une seule balle avant que son arme ne s’enraye; il tue Denis Blanchette et blesse grièvement Dave Courage, qui sont également technicien de scène. Ni la succession de Denis Blanchette ni Dave Courage ne sont demandeurs en l’instance.

Au terme d’un jugement de plus de 400 paragraphes, la Cour supérieure condamne solidairement le PGQ et la Ville de Montréal à payer environ 75,000$ à chacun des techniciens de scène.

Quelques mots sur la faute d’omission des policiers

La faute d’omission des policiers me fascine. Alors que l’on dénonce habituellement les actions des policiers (arrestation abusive, usage de la force, etc.), on leur reproche ici un manquement à l’article 48 de la Loi sur la police, soit d’avoir fait défaut de prévenir et de réprimer le crime. Évidemment, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que les policiers empêchent tout crime d’être commis. Il arrivera par contre que les policiers seront tenus civilement responsables d’un crime qui devait pouvoir être évité.

Le principal défi est de ne pas jouer au gérant d’estrade. Il est facile, lorsque l’on connaît la fin de l’histoire, de suggérer que le policier devait se comporter ainsi ou prendre telle décision pour éviter le drame. Cela est bien illustré par la décision Boisvenu (2009). Dans cette affaire, la famille de feue Julie Boisvenu reprochait aux policiers de ne pas avoir empêché le meurtre de la jeune femme. Les policiers avaient pourtant discuté avec le meurtrier quelques heures avant qu’il ne commette l’irréparable. Or, rien ne laissait présager le drame…

À l’opposé, nous avons résumé sur ce blogue la récente décision Acier Century inc. c. Ville de Montréal, confirmée par la Cour d’appel en 2022. Dans cette affaire, les policiers se sont présentés sur un site industriel après le déclenchement du système d’alarme. Après une (trop) courte inspection des lieux, ils ont quitté sans s’apercevoir que le voleur avait commencé à forcer le coffre-fort. Celui-ci a donc été en mesure de commettre son vol suite au départ des policiers.

Pourquoi la responsabilité civile des policiers a-t-elle été retenue?

La Cour supérieure retient essentiellement la responsabilité des policiers de la SQ et du SPVM pour trois raisons, lesquelles sont détaillées dans l’extrait ici-bas. Ces raisons sont à l’origine du fait qu’aucun policier n’était déployé à proximité de la porte arrière du Métropolis, soit l’endroit où les techniciens de scène se trouvaient. Richard Henry Bain a donc été en mesure de s’approcher sans être inquiété. Ce dernier aurait même mentionné lors de son arrestation : « ton security était pas bon ».

[93] Premièrement, Le Tribunal note que contrairement à ce qui fut convenu entre le capitaine Bergeron (SQ) et l’inspecteur Pichet (SPVM) en amont de la soirée électorale, le SPVM n’a pas procédé à sa propre évaluation des besoins et effectifs requis pour les fins d’assurer la sécurité des abords du Métropolis. Les lieux ont fait l’objet de pré-visites par les agents précurseurs de la SQ et le SPVM a procédé à l’évaluation de ses besoins d’effectifs pour les fins du contrôle des manifestations annoncées, mais le SPVM n’a pas procédé à une analyse spécifique des effectifs requis pour sécuriser tout le périmètre extérieur du Métropolis lors de la soirée électorale du PQ. Il a essentiellement donné suite à la demande d’assistance de la SQ en affectant un duo de policiers et un véhicule de patrouille sans préciser le lieu exact où ils devraient se trouver aux abords du Métropolis.

[94] Il s’agit là d’une conduite qui relève d’une insouciance certaine, notamment au regard du contexte social qui règne alors mais aussi au regard de l’envergure de l’événement devant se tenir au Métropolis.

[95] Deuxièmement, il se dégage de l’ensemble de la preuve une certaine dissonance entre le rôle que la SQ cherche à impartir au SPVM et ce rôle tel que le perçoit le SPVM dans le cadre de sa collaboration avec la SQ pour les fins de l’exécution du plan de sécurité. Le mandat confié par la SQ au SPVM en ce qui a trait au périmètre extérieur du Métropolis ne constitue pas du tout une demande d’assistance claire au SPVM d’assurer la sécurité de tout le quadrilatère du Métropolis. Pour les agents du SPVM, ce dernier n’agit qu’en support de la SQ et son rôle se limite à « assurer une visibilité » autour du Métropolis. Dit autrement, la demande d’assistance de la SQ n’enjoint pas au SPVM d’être « les yeux de la SQ » aux abords du Métropolis.

[96] Troisièmement, on note que le plan de sécurité conçu par la SQ pour les fins de la soirée électorale n’a pas été modifié ni ajusté en cours de route, que ce soit en raison des menaces proférées sur les réseaux sociaux à l’égard de Mme Marois ou en raison du résultat des élections annoncé en fin de soirée.

[97] La SQ, avec l’assistance du SPVM, met donc en œuvre le même plan de sécurité que celui exécuté à tous les autres événements partisans tenus par les partis politiques lors de cette campagne électorale, soit le plan que les représentants de la SQ qualifient de « recette du moment ». Or, avec égards, on peut raisonnablement inférer qu’un rassemblement tenu dans le cadre d’une campagne électorale n’entraîne pas les mêmes risques qu’une célébration faisant suite à la victoire électorale d’une formation politique.

Selon la Cour supérieure, il existe un lien de causalité suffisant entre l’absence de présence policière à l’arrière du Métropolis et les dommages subis par le demandeur. Après une analyse minutieuse de la preuve, le tribunal détermine qu’il est raisonnable de conclure qu’une présence policière à l’arrière du Métropolis aurait dissuadé Richard Henry Bain de passer à l’action ou, dans la négative, ce dernier aurait été maîtrisé ou intercepté avant qu’il ne fasse feu sur les techniciens de scène.

Il est toujours difficile de reconstituer les évènements et de prévoir ce qui serait arrivé dans la mesure où les policiers n’avaient pas commis la faute qu’on leur reproche. Pourtant, pour avoir gain de cause, il faut démontrer que sans la faute policière, le drame pouvait être évité. L’affaire Gounis (2019) mettait en scène une autre fusillade mortelle. Or, dans cette affaire, la Cour supérieure a déterminé que même si la faute policière alléguée avait été évitée, la fusillade était quant à elle inévitable.

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