Élus municipaux, Diffamation, Responsabilité civile

Protection financière des élus municipaux poursuivis : la Cour d’appel confirme l’interprétation large et libérale

Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu c. Laplante, 2021 QCCA 320

Au cours de la dernière décennie, nombreuses ont été les instances où les tribunaux ont eu à se prononcer sur la portée de la protection dont bénéficient les élus municipaux poursuivis en justice, à la lumière des articles 604.6 à 604.10 de la Loi sur les cités et villes (« L.c.v. »), analogues aux articles 711.19.1 à 711.19.5 du Code municipal.

Plus récemment, la Cour d’appel a rendu une décision sur la protection dont bénéficie un élu pour des propos, apparemment diffamatoires, tenus avant même d’être élu.

Alain Laplante est poursuivi en diffamation par Groupe Guy Samson Inc. (« Groupe ») à la suite de propos qu’il aurait tenus en octobre 2017, quelques semaines avant d’être élu maire de Saint-Jean-sur-Richelieu. En effet, alors qu’il est candidat à la mairie, Laplante émet de sérieuses réserves au sujet d’un important projet de développement de Groupe sur le territoire de Saint-Jean-sur-Richelieu. Une fois élu, le projet de Groupe ne progresse pas à un rythme satisfaisant du point de vue de ce dernier.

Dans sa poursuite, Groupe réclame d’abord des dommages et intérêts de 2,5 millions $ en plus de dommages exemplaires de 50 000 $. À la suite d’une requête en rejet présentée par le maire Laplante, au motif que la procédure est abusive, Groupe réduit sa réclamation en dommages compensatoires à 40 000 $, mais maintient telle quelle la réclamation de dommages exemplaires.

Faisant preuve de prudence, le juge saisi de la requête en rejet refuse de mettre un terme à l’action de Groupe, mais formule d’importantes réserves quant à ses chances de succès.

Étant donné que les procédures vont se poursuivre, le maire Laplante demande au conseil municipal d’assumer les coûts de sa défense. Le conseil refuse de donner suite à sa demande au motif qu’il n’était pas maire au moment des propos qui lui sont reprochés. Le maire intente donc une demande en mandamus en vue de forcer la Ville à assumer les coûts de sa défense.

Le juge Frappier de la Cour supérieure donne raison au maire Laplante, mais la Ville porte la décision en appel. La Cour d’appel confirme la décision de première instance en s’appuyant particulièrement dans l’arrêt récent rendu dans l’affaire de Ville de Saint-Constant c. Succession de Pepin, 2020 QCCA 1292 (qui a d’ailleurs fait l’objet d’un billet sur le blogue du Jeune Barreau de Montréal).

[15] Selon les enseignements tirés de cet arrêt, l’élu à la recherche de protection conférée par l’article 604.6 L.c.v. n’est tenu qu’à une preuve prima facie, c’est-à-dire à une démonstration « sommaire, superficielle et d’apparence, qui n’a pas à faire l’objet d’un examen substantiel ou approfondi », et ce, aux fins d’établir son intérêt dans l’assistance sollicitée auprès de la municipalité. Cette preuve consiste, pour l’essentiel, à démontrer que les actes (ou les paroles) reprochés se situent dans le cadre général des fonctions de l’élu, « c’est-à-dire [qu’ils] découlent de la situation dans laquelle le place cette qualité d’élu et les fonctions qui lui sont dévolues à ce titre.

[16] Le juge possède donc une discrétion aux fins d’apprécier la preuve au soutien du caractère impérieux du devoir d’assistance imposé à une municipalité. Pour ce faire, il doit en principe s’en tenir aux allégations de la demande. Mais pour en évaluer la portée véritable, le juge est autorisé à prendre en compte le contexte dans lequel surviennent les procédures, sans quoi il y a un risque de cloisonner l’analyse du devoir d’assistance d’une municipalité selon la seule logique du demandeur exprimée par ses allégations stratégiques, plaçant ainsi l’élu en nette position de vulnérabilité.

De l’avis de la Cour, les reproches formulés portant sur « les réserves exprimées publiquement par un candidat à la mairie concernant un projet immobilier alors qu’elles lui sont maintenant reprochées dans le cadre d’une procédure judiciaire en diffamation intentée après son élection à ce poste » conjugué au fait que le projet tarde à être accepté par le conseil font en sorte que les allégations sont reliées à la situation dans laquelle se retrouve le maire Laplante en sa qualité de maire de la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Ce faisant, le maire visé par la demande a le droit de bénéficier de la protection des articles 604.6 et ss. L.c.v.

La Cour met un terme à sa décision sur un extrait de l’ouvrage des auteurs Duplessis, Hétu et Vézina, dans leur ouvrage Droit municipal: principes généraux et contentieux:

[31]      On ne s’étonnera donc pas de la prudence à laquelle invite la doctrine en pareille situation :

De fait, les poursuites intentées contre les élus municipaux sont la plupart du temps sans véritable fondement juridique; certaines sont purement frivoles. Or, le véritable but recherché par le demandeur n’est pas d’obtenir un jugement final condamnant l’élu, mais plutôt de jeter du discrédit sur lui en mettant en doute très souvent sa réputation. Plusieurs se sont servis des poursuites judiciaires pour simplement faire pression sur certains élus et les empêcher d’exercer sereinement leur charge municipale ou encore pour faciliter une entente à l’amiable avec la municipalité. De plus, dans ces poursuites, on invoque habituellement des fautes personnelles de la part des élus pour les empêcher d’être défendus par leur municipalité et de façon à les exclure, le cas échéant, de la protection de la police d’assurance municipale. Non seulement on cherche à discréditer l’élu dans l’opinion publique, mais on veut le pénaliser financièrement en l’obligeant à se défendre personnellement devant les tribunaux. À cet égard, nous ne pouvons que constater que les élus jouissent d’une moins bonne protection juridique que leurs fonctionnaires municipaux (ex. les policiers).

De ce qui précède, on peut retenir que l’appréciation de l’obligation de défendre qui incombe aux villes et aux municipalités (articles 711.19.1 et suivants du Code municipal) comporte des analogies certaines avec l’obligation de défendre en matière d’assurance responsabilité, prévue à l’article 2503 C.c.Q. Ainsi, à l’instar des enseigements de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Monenco Ltd c. Commonwealth Insurance, [2001] 2 R.C.S. 699, le juge saisi de la demande d’un élu doit rechercher le contenu et la nature véritable des reproches formulés contre lui et au besoin, avoir recours à certains éléments de preuve extrinsèque.

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